vendredi 3 avril 2015

Analyse "Ernest et Célestine"

Voici une analyse d'"Ernest et Célestine" proposée par Stéphanie Arens. Cette analyse a en partie servie pour l'animation pédagogique du 07 mars 2015 effectuée par Evelyne Aguilée, CDP Arts Visuels et coordinatrice Ecole et cinéma en Essonne.


ANIMATION AUTOUR D'ERNEST ET CELESTINE
DE BENJAMIN RENNER, VINCENT PATAR ET STEPHANE AUBIER
  •   Présentation du film

         Ernest et Célestine est un film d'animation français, belge et luxembourgeois de Benjamin Renner, Stéphane Aubier et Vincent Patar, sorti le 12/12/2012 en France. C'est une adaptation libre de la série d'albums pour enfants Ernest et Célestine de Gabrielle Vincent (écrivaine et illustratrice belge, 1928-2000 - 27 tomes parus entre 1981 et 2003) dont le scénario est signé Daniel Pennac. Le film est une réinvention de la rencontre initiale entre Ernest, l'ours, et Célestine, la souris.


Ernest et Célestine est le premier long-métrage de Benjamin Renner, qui sortait tout juste de l'école d'animation La Poudrière à Angoulème lorsqu'il rejoint l'équipe du film.
Vincent Patar et Stéphane Aubier, tous deux belges et réalisateurs de films d'animation, travaillent ensemble depuis 1988. Ces deux auteurs-réalisateurs de film d'animation se sont rencontrés à l'Institut des Beaux-Arts de Saint-Luc à Liège et ont notamment cosigné Panique au village en 2009.
        
Le film sera fait en 5 ans : c'est en décembre 2007 que les droits sont achetés par Didier Brunner, le producteur, puis un pilote d'animation est lancé : sa fabrication durera un an. La recherche des financements durera jusqu'en avril 2009 et ensuite de mi-2009 à mi-2010 l'essentiel du travail porte sur le storyboard. L'animation durera un an et demi (Benjamin Renner précise que " sur un film d’animation, on ne met en boîte que quelques secondes chaque jour, au mieux une minute quand on atteint un rythme de croisière et que quinze animateurs travaillent de concert."[1]), soit jusque fin 2011, puis la post-production durera un an.[2]

  •   La technique du film

Ernest et Célestine est un film d'animation en 2D, type "dessin à la main". Les décors ont été réalisés en aquarelle sur papier comme en témoignent les dires de Benjamin Renner : "On a fait les décors à l'aquarelle, parce qu'on voulait voir la texture du papier. ça n'aurait pas marché à l'ordinateur. Je voulais qu'il y ait des erreurs dans les décors. Et le problème avec les ordinateurs, c'est que quand on fait une erreur, on a tendance à la corriger. Je ne voulais pas ça."[3]
Les personnages, eux, ont été dessinés sur tablette, à la main, puis animés à l'ordinateur (animation avec le logiciel Adobe Flash).[4]
L'ensemble de l'équipe d'animation, soit une quinzaine de personnes travaillaient dans une même pièce, à la demande de Benjamin Renner : "La première chose que j'ai demandé au producteur a été qu'on réalise toute l'animation dans le même bureau, que tous les décors soient réalisés au même endroit, afin qu'il y ait une unité dans notre travail."[5]


  •  Analyse des thématiques et sous-thématiques du film


THEMATIQUES ET SOUS THEMATIQUES
THEME PRINCIPAL : Une amitié "à toutes épreuves"
Sous-thèmes : l'attachement qui unit Ernest et Célestine, le sens du "sacrifice" des deux héros qui se protègent l'un l'autre, la relation développée par les deux protagonistes, l'entraide, le soutien, l'engagement...
THEME PRINCIPAL : La lutte contre les préjugés
Sous-thèmes : Une affection atypique (entre Ernest et Célestine), le courage de dépasser ses peurs et préjugés, les préjugés de chaque communauté l'une envers l'autres...
THEME PRINCIPAL : La peur de la différence
 Sous-thèmes : Deux communautés qui se rejettent, la peur de l'autre, la construction du stéréotype (avec le conte du "Gros méchant ours")...

UN THEME QUESTIONNé INDIRECTEMENT PAR LE FILM :
L'adaptation d'un univers d'albums illustrés au cinéma
Sous-thème : le travail d'adaptation des personnages, décors, types de traits, liens qui unissent les personnages...

  •   Les personnages

Célestine est une souris orpheline qui doit travailler à aller chercher des dents dans le monde des ours. Elle se distingue des autres souriceaux orphelins en ce qu'elle ne croit pas en le "mythe" du "Gros méchant ours" et se rêve amie avec un ours (les ours terrifient les souris et sont considérés d'emblée comme leurs ennemis). Célestine est donc solitaire, et se démarque des autres, car elle ne partage pas leur peur, leur croyance et n'adhère pas au mythe collectif. C'est en montant dans le monde des ours remplir sa mission que Célestine va rencontrer Ernest.

Ernest est un ours mal léché qui vit isolé dans la campagne, seul. Il se réveille un jour, affamé et se met en quête de nourriture. Ernest est un saltimbanque, lui aussi solitaire car il est mis au ban de la société des ours (qui valorise beaucoup le commerce et les profits ) : Ernest est un artiste, visiblement sans le sou. Très vite ses instruments de musique lui sont confisqués par la police, et malgré sa volonté de gagner un peu d'argent pour se payer à manger, il va être contraint de faire les poubelles et d'illustrer le mythe du "Gros méchant ours" à savoir que quand un ours a très faim, "il mange n'importe quoi". C'est ainsi qu'il fait la connaissance de Célestine.

Les deux personnages principaux ont ceci en commun qu'ils sont tous les deux solitaires, l'une (peut-être) abandonnée, et l'autre qui s'isole. Et ils sont tous deux mis à part au vu de leurs conditions : Célestine se rêve amie avec celui qui terrifie sa communauté, l'ours, et Ernest est un poète, musicien, ce qui détonne avec le reste des ours qui aiment à faire du profit comme le roi du sucre.
Plus généralement, il peut être intéressant de rappeler les sens symboliques des ours et souris.
L'ours : "Il a été traditionnellement l'emblème de la cruauté, de la sauvagerie, de la brutalité. mais (...) l'ours peut être dans une certaine mesure apprivoisé : il danse, il jongle. (...) Il symboliserait en somme les forces élémentaires susceptibles d'évolution progressive, mais capables aussi de redoutables régressions."[6]
La souris : "Animaux chthoniens, elles symbolisent la phase souterraine des communications avec le sacré".[7]

Chez les souris il y a d'autres personnages : La Grise, sorte de nourrice des souriceaux orphelins, qui les abreuve d'histoires effrayantes à propos des ours et voit d'un mauvais œil la tendance de Célestine à douter de ses histoires.
Le dentiste, qui semble avoir une position hiérarchique supérieure puisque c'est lui qui punit Célestine quand elle ne ramène qu'une dent. (Il incarne donc d'une certaine façon les règles et traditions du "monde souris" et semble avoir le droit de punition et de récompense sur les autres membres de la communauté.)
La secrétaire, sorte de contremaître à qui les souriceaux qui récoltent les dents rendent des comptes.
Le patient souris/avocat. Le juge souris, les policiers rats (sorte d'entité uniforme et inquiétante) et les souriceaux.

Du côté des ours : le "Roi du sucre" incarne à la fois le modèle patriarcal ours (il dirige son magasin, sa maison, est le père fort qui doit lutter contre la souris, et fait l'apologie du commerce et du profit à son fils). Ce personnage fonctionne avec sa femme, qui représente elle aussi une réussite professionnelle car à eux deux ils créent l'offre et la demande (il vend les bonbons qui abiment les dents et sa femme les dents qui permettent de continuer à manger des bonbons).
Léon, leur fils, victime de l'ironie de la situation : il n'a pas le droit aux bonbons alors que c'est son père qui les vend afin de ne pas devenir un client de sa mère...
Les policiers ours, qui ne brillent pas par leur efficacité et leur intellect. Et le juge ours.

  •   Les décors et environnements : monde des souris versus monde des ours

Les décors du film sont fait en aquarelle ce qui leur donne à la fois un aspect doux, tendre et parfois "fouillis." Ils sont basés pour certains sur les dessins de paysage faits par Gabrielle Vincent.[8]

LE MONDE DES SOURIS
De manière général le monde des souris est plus sombre, plus fermé que celui des ours. Il est complètement souterrain ce qui à la fois justifie sa luminosité moindre et les lieux qui nous sont donnés à voir sont également "sombres".
L'orphelinat tout d'abord dont le dortoir semble gigantesque, à demi baigné d'obscurité et très haut de plafond, éclairé à la bougie, dégage d’emblée un sentiment d'austérité, de froideur. Le manque de liens affectifs s'y ressent dès la séquence d'introduction du film.(Sans compter que la Grise dirige les souriceaux avec des claquements de mains, les faisant se mettre au garde à vous et enchainant les actions de manière quasi militaire ce qui renforce ce sentiment de droiture et de froideur). Les ombres également, qui transforme l'orphelinat en sorte de lanterne magique projetée, sont inquiétantes.
Les égouts qui mènent hors et dans le monde des souris sont aussi sombres, et bien que propres, ne semblent pas très agréables.
Les rues de la ville souterraine, semblent plus chaleureuses, baignées d'une lumière un peu jaune, animées par les marchands de rue et jalonnées d'inventions ou de parcours originaux (la sorte d'ascenseur pour le pont par exemple), bien que l'ensemble reste dans des tonalités marrons. L'endroit le plus éclairé s'avèrera être la clinique.
La clinique, quant à elle, est aussi constituée d'espaces gigantesques. Très blancs, très froids, "cliniques" justement où tous les gestes, de la sélection d'une dent à son envoi, semblent méthodiques.
De manière générale le monde des souris semble assez austère et extrêmement organisé. C'est un monde volontairement méthodique qui  laisse peu de place à la fantaisie et où le destin des personnages est tout tracé. Il met en avant le personnage de Célestine puisque celle-ci ne lui correspond pas : rêveuse, artiste, Célestine y refuse son destin tout tracé avec d'autant plus de véhémence qu'elle n'accepte pas les codes du monde dans lequel elle évolue.

LE MONDE DES OURS
Le monde des ours n'est pas beaucoup plus chaleureux au départ : la maison d'Ernest qui nous est montrée semble sombre, remplie de bric-à-brac et peu entretenue. Et il neige dans le monde des ours...ce qui n'est pas très "engageant" non plus.
En revanche, la maison du roi du sucre apparait tout de suite comme chaleureuse (tons jaunes) et familiale (jouets d'enfant, parents qui semble a priori bienveillants), cave remplie de bonbons...
Les rues de la ville au départ sont très blanchies, froides et avec très peu de contours donnant l'impression que tout est ouvert sur un grand "néant blanc".
Dès l'instant où Ernest et Célestine s'installent ensemble, la maison de ce dernier s'illumine : elle semble plus chaleureuse, plus lumineuse et aussi plus rangée. Elle évolue comme son propriétaire qui petit à petit sort de sa solitude.
Enfin, dans le monde des ours, le printemps arrive et là les décors se parent de couleurs, deviennent de plus en plus lumineux...Jusqu'à l'embrasement final dans les deux tribunaux, où les teintes rouges inquiétantes cèderont la place au monde des ours redevenu lumineux. Puis au deux personnages dans les bras l'un de l'autre, baignés de blanc, sans décor, tout à leurs retrouvailles.
La fin du film revient à la maison d'Ernest, lumineuse et colorée, comme lorsque lui et Célestine avaient commencé à vivre ensemble dedans.

  •   Analyse de la séquence d'introduction du film

         Le film s'ouvre sur des dessins, dont on ne sait pas de qui ils sont l'œuvre. Puis une main apparait, qui trace les traits et Célestine enfin, toute entière dans le cadre sur fond blanc gris comme seule au monde. Ainsi la solitude, qui peut aussi être interprétée comme la propension du personnage à se mettre dans sa bulle quand elle crée, est visible, très clairement, dès les premières images. Puis les autres souriceaux apparaissent progressivement, pour nous permettre de découvrir Célestine, assise sur son lit, entourée de ses congénères qui commentent son dessin.
Cette phrase "il est raté ton dessin, un ours et une souris, c'est pas possible" pose le contexte directement : il semble clair dès cet instant que pour des raisons qui nous sont encore inconnues ours et souris ne peuvent pas cohabiter, ni être amis.
S'ensuit un plan large du dortoir. Si rien n'est indiqué sur le type de lieu dans lequel nous sommes, l'idée que c'est un orphelinat apparait rapidement : l'endroit est dépersonnalisé, rien ne marque l'idée qu'il soit convivial... ce pourrait aussi être un internat. L'espace est grand bien qu'entièrement clos, haut de plafond et uniquement éclairé à la bougie, ce qui lui confère quelque chose d'inquiétant. Seuls des lits, des tables de chevet et une unique armoire le meuble. Et il s'y trouve aussi une estrade, avec un fauteuil vide. Cette image n'est pas sans rappeler l'imagerie de certains contes : on croirait les souriceaux enfermés dans une tour, plutôt vétuste, dans l'attente de leur geôlier.
Les souris sont en effet toutes tournées vers la porte d'entrée... à l'affût de quelque chose, ou quelqu'un qui ne nous est pas visible. Le plan qui suit, nous montrant tous les souriceaux la face tournée vers la caméra, nous indique implicitement que quelque chose observe les occupants du dortoir. Il est évident qu'un personnage va faire son entrée. Le mouvement avant de la caméra appuie encore cette sensation créant une tension qui donne l'impulsion aux mouvement des souriceaux qui courent ensuite vers leur lit. Des pas approchent, et même si nous, spectateurs, ne savons pas de quoi il s'agit, il semblerait que cela soit assez menaçant pour que les personnages anticipent ses demandes.
La porte du dortoir s'ouvre sur une ombre, puis apparait la Grise, que nous allons découvrir comme étant la nourrice des jeunes souris. L'imposante figure d'autorité tape alors des mains, sans dire un mot et toutes les souris se mettent au lit. Puis elle tape encore et chacune souffle sa bougie (sauf une souris visiblement empêchée de souffler sa bougie par une incisive récalcitrante). La mécanique quasi militaire de cet enchainement de mouvement renforce encore la sensation de froideur que dégageait les lieux.
Dans une suite de champ/contrechamp la Grise commence à raconter l'histoire du "Grand méchant ours", après avoir remis une de ces dents en place. A chaque plan de la nourrice correspond un plan d'un enfant, caché sous ses couvertures, ou l'air craintif, qui répond à une question posée par celle-ci. Tout semble orchestré pour maintenir un état de crainte et de peur chez les jeunes sujets : l'histoire du "Grand méchant ours" contée à la lumière vacillante d'une lampe à huile semble être une histoire "à faire peur".
Puis la "magie" de l'histoire opère et l'ombre de la nourrice projetée sur le mur mime un monstre inquiétant : le dortoir se transforme en théâtre, en lanterne magique projetée et les angoisses des souriceaux prennent corps dans ces ombres distordues et inquiétantes. L'ombre est de plus en plus présente dans la pièce qui n'est plus qu'éclairée par la lanterne agitée par la nourrice.
S'ensuit alors un "affrontement" entre la Grise et Célestine. La première est réunie dans le même cadre qu'un souriceau pour la première fois depuis le début : c'est la preuve que son histoire n'a pas la même emprise sur Célestine que sur les autres. Célestine, elle, doute de la véracité de l'histoire et exprime ses doutes ouvertement. Le cadre se rapproche, enfermant encore plus les deux personnages dans leur affrontement : plus moyen de se soustraire ni pour l'une ni pour l'autre. La Grise doit attester de la véracité de ses propos, ce qu'elle ne parviendra pas à faire, et Célestine est cataloguée comme étant celle qui doute. Le cadre s'éloigne à nouveau : la tension redescend d'un cran car la Grise ne parvient pas à argumenter (on apprend au détour de sa réponse que Célestine est bel et bien orpheline). Et le cadre s'agrandit encore tandis que la nourrice s'embourbe et "noie le poisson", tout comme son histoire se noie dans ses tentatives de sauver la face. Le dessin de Célestine vient sauver la raconteuse d'histoire : il détourne l'attention de tous, personnages comme spectateurs, sur Célestine dont on sait qu'elle en est l'auteur, ce que ne tardera pas à deviner la Grise.
La "gardienne" revenue à sa place sur son estrade, le cadre redevient très large laissant apparaître la pièce de nouveau lugubre, trop grande, disproportionnée... comme si une menace de taille disproportionnée par rapport aux souris veillait ?
Puis la Grise perd son incisive...Et le monde rôdé et quasiment militaire de l'orphelinat s'embourbe : les souriceaux ne sont plus captivés car la surveillante n'est plus compréhensible avec une dent en moins, et l'ambiance glacée, et très organisée laisse la place à un beau désordre. Voilà qu'une bataille de polochons éclate. A laquelle s'ajoute une surveillante qui a perdu toute crédibilité et qui tente de faire revenir l'ordre. Trop tard : l'équilibre précaire du monde de l'orphelinat vacille et sa belle organisation s'effondre... présage de ce qui va advenir par la suite au monde des souris ?
On retrouve alors Célestine qui apporte la touche finale à son dessin, attestant là qu'elle ne perd pas son idée/objectif de vue : sur son dessin l'ours et la souris sourient.
Le titre du film et le générique apparaissent, suivant le trajet d'une petite plume qui monte, monte... jusqu'à aller se poser sur un monticule de neige dans le monde au dehors. Monticule qui s'avèrera être un toit...!

Cette première séquence, son ouverture en tout cas, est une belle mise en abîme : Célestine dessine, tout comme le réalisateur du film qui est sensé être celui nous racontant l'histoire. Ici c'est la preuve directe que la petite souris va mener le récit à l'intérieur du film : en effet, c'est Célestine par ses actes, ses décisions qui va impulser les différentes avancées de l'histoire, amener les péripéties, faire évoluer les personnages. C'est aussi un moyen de nous faire comprendre que c'est sur Célestine, son caractère impétueux et entêté, que va reposer en grande partie la dynamique de son tandem avec Ernest.
Lequel Ernest sera présenté dans la seconde séquence du film : au cœur de sa maison, isolé. Ernest dont la motivation a sortir ne sera pas le rêve d'une amie souris, mais la faim.
  •  Quelques remarques sur le film :
Des scènes qui se répondent...
Dans le film plusieurs scènes se font écho : lorsque la Grise perd sa dent et n'arrive plus à parler correctement, le calme et l'ordre qui règnent dans le dortoir cèdent la place à une bagarre généralisée après un échange entre les souriceaux. Le même dialogue se tiendra dans le tribunal des souris lorsque l'avocat perd sa dent, mais entre les jurés cette fois. L'avocat qui ne peut plus s'exprimer correctement perd l'attention du jury qui se bagarre, comme les souriceaux de l'orphelinat.
Les séquences de cauchemars se répondent également : celle de Célestine est noire, sombre, inquiétante, tandis que celle d'Ernest, presque joyeuse et très colorée devient inquiétante sur la fin. Quoi qu'il en soit chacun des héros a sa séquence de cauchemar.
Les séquences où les deux héros sont en prison aussi sont des répliques identiques, à ceci près que les personnages ne sont pas dans la même position : Célestine est recroquevillée sur elle-même, allongée, toute petite dans un décor adapté à la taille des ours, montrant son impossibilité de se défendre ou d'agir face au gigantisme environnant, et Ernest lui confiné, replié mais assis, dans une cellule trop petite pour lui. Ces scènes sont identiques car le même dialogue a lieu entre le geôlier et son prisonnier puis s'en suit la scène où les personnages découvrent les châtiments qui les attendent.
Les procès aussi, en montage alterné cette fois, se répondent, ainsi que les sauvetages des juges.
Dès l'instant où les personnages sont faits prisonniers, toutes les séquences, si semblables, et alternées ne font qu'accentuer leurs ressemblances, tant dans leurs qualités (sens de la justice, volonté de se protéger l'un l'autre...) que dans leurs volontés : les deux héros ont le même désir de se retrouver et de pouvoir rester ensemble. C'est d'ailleurs après le sauvetage du juge souris, qui intervient en premier qu'Ernest pourra manifester à son tour le désir d'être avec Célestine, comme en écho au début du film où la petite souris manifestait son désir de se découvrir un ami ours.

...  Et des histoires de dents
Les dents ont une place prépondérante dans le film : pour les souris car elles sont leur plus grand atout (comme le rappelle le dentiste-chef) et leur plus grande faiblesse (sans, les souris ne peuvent plus communiquer, se nourrir...). Les dents d'ours apparaissent vite comme la quête perpétuelle des souris (puisqu'elles leur permettent de remplacer leurs propres dents et de rester vivantes), mais aussi des ours (les ours gourmands perdent leurs dents et ont besoin d'autres dents pour remplacer les leurs...).
Célestine qui semble se désintéresser des dents dès le début, et qui ne veut pas être dentiste (ce qui semble inconcevable pour ses pairs) apparaît donc d'emblée comme "déconnectée" de son monde...et pourtant, de manière assez ironique, ce sont les dents qu'elle verra en premier lieu chez Ernest ! Ses grandes dents pointues et menaçantes, sur fond blanc, sans décor, lorsqu'il s'apprête à la manger.

  •   CONCLUSION
Ernest et Célestine est donc une sorte de conte, pas dans sa construction, mais dans ce sens que le film nous raconte une histoire tendre, pleine de poésie où contre toutes attentes les héros arrivent à vaincre les préjugés, et à pouvoir choisir leur destinée.
Au début, l'histoire qui nous est narrée  fait quelques emprunts à des contes de fée : "Le grand méchant ours" sorte de paronyme du "Grand méchant loup", au devant duquel va notre Célestine vêtue d'une cape rouge pendant la première moitié du film, peut référer au Petit chaperon rouge s'il est besoin de le citer. De même "la petite souris du conte" est énoncée clairement dans la maison du roi du sucre pour convaincre Léon de laisser sa dent sur la table de chevet (il y a là une mise abîme du conte dans le conte, presque).
Puis dès que Célestine s'installe chez Ernest, c'en est fini des références à d'autres contes, l'histoire trace alors sa propre voie car à leur manière les deux personnages ouvre le chemin à de nouvelles perspectives : ours et souris peuvent vivre ensemble, s'apprécier. Ils prouvent ainsi à leurs communautés respectives que l'autre érigé en ennemi, mystifié dans sa position d'ennemi même, n'est en fait pas si terrifiant une fois qu'on l'a appréhendé sans préjugés.


[1] in « Ernest et Célestine » : cinq ans de boulot pour une merveille d’animation [archive], article d'Olivier de Bruyn sur Rue89 le 11 décembre 2012. Page consultée le 04/03/2015.
[2] ib.
[3] in Le making-of de "Ernest et Célestine", , page consultée le 04/03/2015
[4] ib.
[5] ib.
[6] in CHEVALIER J.; GHEERBRANT A, DICTIONNAIRE DES SYMBOLES, Robert Laffont/Jupiter, Paris, Février 2012, p. 831
[7] ib, p.1045
[8] in Entretien avec Benjamin Renner (seconde partie) [archive], propos recueillis par Pascal Pinteau sur le site Effets spéciaux le 17 décembre 2012]. Page consultée le 04/03/2015.

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    L école de la Poudrière qu'a fait Benjamon Renner est à Bourg-les valence dans la Drôme.

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